Utopiales 2017 : 4ème journée – Faire découvrir le jdr

Cette conférence intitulée Enseigner et transmettre un jeu de rôle accueillait comme intervenants Vivien Feasson, l’auteur des Errants d’Ukyio et de Perdus sous la pluie, Guylène le Mignot, co-autrice de 6 Etoiles en Guerre et 6 Voyages en Extrême-Orient, Thomas ‘Pikathulhu’ Munier auteur et illustrateur dont vous pourrez trouver le travail sur legrog, Sarah Newton qui a participé à la création de plusieurs jeux de rôle en tant qu’autrice mais aussi cartographe et illustratrice, et enfin Julien Pouard que je vous ai déjà présenté dans l’article sur le Temps dans les jeux de rôle.

Le sujet de cette table ronde était la façon dont le jeu de rôle s’enseigne et se transmet, des auteurs aux joueurs et des joueurs entre eux. Le jeu de rôle est en effet un média dont la transmission est indirecte, c’est à dire qu’une fois le livre en votre possession, les concepteurs des règles ne seront plus présents pour garantir le bon suivi de celles-ci. A l’inverse d’un jeu vidéo dont le code n’est pas -toujours- négociable, cette forme ludique s’expose ainsi à une perte d’informations ou à des interprétations inattendues des règles.

Vendre son jeux de rôle
A celui qui veut offrir un jeu de rôle à la communauté, plusieurs questions se posent quant à la façon d’aborder l’entrée des joueurs dans son univers. Faut-il que le livre soit vendeur de son contenu ? Qu’il se rende accessible et attrayant au plus grand public ? Les concepteurs doivent ils se montrer pédagogues et offrir l’enseignement de leurs règles et de leur univers, à la manière d’une encyclopédie ? Ou faut-il se faire auteur et glisser les règles entre deux paragraphes d’histoire et de narration ?

Le jeu de rôle a beaucoup changé avec les années, et alors qu’auparavant il prenait plutôt la forme de péripéties donjonesques, il a aujourd’hui de nombreux visages. Va-t-on alors présenter aux néophytes le jeu de rôle, dans sa forme classique la plus répandue, ou son jeu de rôle, relevant d’une vision nouvelle et différente de ce loisir ?

Dans l’idée d’un jeu mis dans le commerce, les concepteurs fournissent souvent avec leur oeuvre un condensé des règles (l’écran de jeu), qui résume l’essentiel des mécaniques de jeu. On peut aussi trouver la mise en accès public des premiers chapitres du livre, afin de donner au futur lecteur un aperçu du système de jeu et de l’univers abordé. Parfois, des vidéos de démonstration sont tournées, à l’initiative des concepteurs ou des joueurs eux-mêmes.

Des joueurs et des jeux
Nouveaux joueurs, nouveaux jeux, anciens joueurs, anciens jeux. Les jeux de rôle n’ont cessé de se diversifier et la façon d’aborder ce loisir a donc évolué elle aussi. Ainsi les nouveaux jeux de rôle se voudront plus faciles à prendre en main par les néophytes, puisqu’ils se détachent des modèles connus. A l’inverse, les plus anciens, ou ceux qui se basent sur les premiers systèmes de jeu, auront tendance à exiger une certaine culture de la part des joueurs pour être abordés. Pour certains modèles -ceux présentant un système de classe par exemple- différents personnages offriront différents styles de jeu et donc différentes expériences et exigences.

Les joueurs, pour mieux s’approprier et restituer l’univers du jeu de rôle auront à acquérir certaines compétences que le livre de règles se doit de leur enseigner. Il faut ainsi leur donner les clés pour comprendre la société, la technologie, l’environnement, etc. du monde dans lequel leurs personnages vont évoluer. Parfois, les compétences d’un joueur dans la vraie vie peuvent devenir des guides pour le personnage qui bénéficie alors de ce bagage culturel. Il faut aussi offrir un contexte d’introduction dans une partie, la présentation des protagonistes étant importante puisqu’elle permet de briser la glace entre les différents joueurs et de lancer le début de leurs interactions sociales.

Enfin, il est bien vu de concevoir son jeu de rôle comme une fractale, offrant des informations condensées d’abord, mais qui seront développées par la suite. Ainsi les concepteurs pourront trier les non-dits de la fiction : en privilégiant ce qui est unique et propre à leur univers et en laissant de côté les codes admis du genre (la société féodale de la fantasy, la high-tech du cyberpunk, etc.)

Bricolage ludique
Loin d’être imperméables à la nouveauté, les vétérans du jeu de rôle font cette petite gymnastique de se détacher des anciens systèmes. Je dis petite gymnastique car, si dans les années 80-90 les jeux de rôles se constituaient principalement d’aventures, d’enquêtes et exigeaient la maîtrise d’un certain système, les jeux plus récents amènent peu de règles et laissent ainsi une plus grande part à l’incarnation du rôle.

Mais les anciens rôlistes sont souvent déjà habitués à prendre des libertés par rapport aux règles de leurs jeux et même à les adapter, à les modifier à leur convenance. Cette tendance au bricolage, permise par le fait que le jeu de rôle soit un média à la transmission indirecte, s’explique de plusieurs façons.

Les origines du jeu de rôle, tout d’abord, nous ramène à la culture du hacker*, puisque ce média a d’abord existé par le détournement des jeux de guerre. Il est donc normal qu’il passe lui-même entre les doigts de ses utilisateurs à un moment ou à un autre. Ensuite, et malheureusement, les anciens du jeu de rôle ont pris l’habitude d’être confrontés à des systèmes de jeux parfois bancales, dont ils devaient colmater les brèches eux-mêmes. Ces exercices de gameplay les ont alors encouragé à s’approprier un jeu, à en tirer des versions et correctifs personnels. Enfin, et cela est encore lié à la transmission indirecte de cette forme de jeu, les règles peuvent être sujettes à interprétations selon les personnes et les situations. Loin d’être une forme ludique rigide, le jeu de rôle permet et exige même parfois une certaine souplesse et ouverture d’esprit.

C’est finalement peut-être pour cela que les jeux de rôle plus récents se passent de règles complexes. Si les joueurs finissent toujours par bidouiller le système de jeu selon leur bon vouloir, n’est-il finalement pas plus pertinent de simplement leur donner des outils ludiques pour construire leur propre expérience de jeu ?

Le dernier conseil des intervenants pour faire découvrir son jeu de rôle était alors d’aller à l’essentiel, bien formuler ses textes et illustrer les règles d’exemples, souvent plus parlants. L’introduction d’un jeu de rôle se devait aussi de présenter l’univers et d’inviter le joueur à s’y immerger.

*La culture du hacker consiste à s’approprier un objet -culturel ou technique- afin d’en détourner l’usage, ou d’en adapter le fonctionnement à de nouvelles situations. Cette culture est la raison pour laquelle aujourd’hui la conception des objets -ou même des logiciels- tend vers la simplification et l’hermétisme : si une entreprise voulait que son produit soit utile à plus de choses que ce pourquoi elle vous l’a vendu, elle vous l’aurait fait payer plus cher.

Utopiales 2017 – 4ème journée : Les gènes gênants

Pour cette table ronde, nommée Génomanciens, mais qui aurait aussi pu s’appeler « Bienvenue à Gattaca : un futur proche ? » étaient reçus Lilie Bagage, autrice notamment du roman Les Larmes de Yada, Baptiste Beaulieu, médecin et romancier mais aussi créateur du blog Alors voilà, Karim Si-Tayeb, chercheur à l’institut du thorax, à Nantes et Sylvain Chambon consultant en bases de données et auteur de nouvelles.

Le sujet pour cette heure était le déchiffrage de notre code ADN : ce dont les technologies actuelles étaient capables mais aussi ce que les avancées futures permettraient. On se questionnait ainsi sur la part du génome dans la maladie, la possibilité de prévoir l’avenir médical par l’étude des gènes et bien sûr les interrogations éthiques qui vont avec.

Problème d’actualité
Pour répondre à la question « Qu’adviendrait-il de nos données génétiques si nous venions à pouvoir les déchiffrer clairement et à les partager ? » on peut dores et déjà regarder ce qui est fait de nos données de santé. Et malheureusement, entre la discrimination à l’assurance -ceux qui en ont le plus besoin s’en voient refuser l’accès- et le frigo connecté qui collecte les données de votre alimentation afin qu’elles soient revendues, le présent ne met pas exactement en confiance pour l’avenir.

Pire encore, l’un des intervenants partagea avec nous l’histoire d’un chirurgien qui avait profité d’une opération de l’appendicite pour ligaturer les trompes de sa patiente qui était trisomique. Il avait selon lui « fait ce qu’il fallait ».
Je dois avouer avoir été assez choqué d’apprendre qu’une telle chose était arrivée -et qu’elle pouvait encore arriver ?- car si se soucier de ce qu’un organisme peut faire de nos informations personnelles me semble normal, je ne crois pas que qui que ce soit devrait avoir à s’inquiéter de ce qu’un individu -supposément assermenté- peut se permettre de vous faire quand vous êtes inconscient sur la table d’opération.

Toucher au génome
Pour en revenir à l’étude génétique, on se questionnait ensuite sur l’éventualité de modifier les gènes afin de guérir ou prévenir certaines maladies. Et il s’avère que cela reste encore compliqué, pour toute une liste de raisons : D’abord, les modifications restent encore à l’heure actuelle trop imprécises -pour être éthiquement envisageables sur des humains, entendons nous- et la probabilité de provoquer des mutations indésirées (« off-target ») est encore trop grande. Le processus réclamera parfois l’intervention d’un troisième parent, afin de corriger le génome d’un enfant, ce qui peut être un autre frein. On compte aussi bien sûr le cas des pathologies multigéniques, qui obligeraient à intervenir sur plusieurs gènes, ou le facteur épigénétique, c’est à dire l’action ou réaction d’un gène à son environnement.

On évoquait aussi le rôle des mitochondries dans certaines maladies génétiques, alors que ces dernières ont un fonctionnement particulier. Elles possèdent en effet leur propre code ADN et ne sont pas présentes dans toutes les cellules du corps humain, ce qui a amené à penser qu’il s’agit d’une bactérie étrangère venue se greffer à l’organisme de nos ancêtres il y a quelques milliards d’année. Que faire alors, quand certains de nos problèmes génétiques proviennent en fait d’un ADN qui d’une certaine façon n’est même pas le nôtre ?

Humanité adaptée
Le dernier sujet de l’heure était les possibilités d’évolution, naturelle et forcée, de notre espèce. En effet l’humanité continue d’évoluer, mais elle échappe pourtant à la sélection naturelle. Quel est alors le nouveau moteur de cette évolution ? Pour la plupart des espèces se sont les individus les plus adaptés à leur environnement qui survivent pour transmettre leurs gènes -notez que l’on parle du plus adapté, pas du plus fort- et c’est ainsi que se fait l’évolution. Mais l’être humain est désormais motivé par d’autres facteurs, socio-économiques notamment. Perpétrer l’espèce n’est plus un souci. Ce qui l’est, c’est qu’au moins un des deux parents aient un travail pour subvenir au besoin de la famille. Et évidemment il faut que les deux aient le désir d’avoir un enfant.

Pour revenir aux considérations transhumanistes, la question se posait de savoir si l’on pouvait forcer l’évolution humaine, notamment pour s’adapter aux bouleversements climatiques. Il semblerait ainsi que dans les esprits, ce soit plus simple -ou peut-être juste plus rigolo ?- de transformer l’humanité pour l’adapter à ses bêtises que de la raisonner pour arrêter les dites bêtises. Mais pour répondre à la question, si nous sommes capables d’anticiper les changements climatiques à venir, la manipulation génétique n’est pas la solution pour s’en prémunir.

Les cas de l’eugénisme et de la culture du beau, s’ils n’ont pas été abordés durant l’heure, le furent brièvement par une question du public. A ce titre, on peut rappeler quelques œuvres comme le film Bienvenue à Gattaca, le roman Et on tuera tous les affreux ou encore le manga Gunnm qui évoquent toutes la façon dont une société mue par l’accomplissement d’un idéal génétique peut se trouver scindée.

Mais si j’ai retenu une chose de cette conférence, c’est que le futur de la manipulation génétique n’ira peut-être pas vers un schisme entre les imparfaits et les plus-que-parfaits retouchés. Tout comme on le voit avec nos données personnelles et les réseaux sociaux, il paraît plus vraisemblables que l’on se dirige vers une marchandisation des plus petits composants de nos corps, où seront d’une part récoltées nos informations génétiques et où nous serons d’autre part vendus des procédés visant à les modifier.

Utopiales 2017 – 3ème journée : Jeunes et vieux

La journée du vendredi commença pour moi avec la conférence Jeunesse et vieillissement où étaient présents Ariane Gélinas, l’autrice d’un grand nombre de nouvelles et du livre Les cendres de Sedna, Emma Newman connue notamment pour sa série de romans The Split Worlds, Valérie Mangin la scénariste d’Abymes, que je vais finir par ne plus avoir besoin de présenter si elle continue d’apparaître dans les conférences auxquelles j’assiste, Nabil Ouali auteur de la série de romans La Voix de l’Empereur et enfin Olivier Bérenval l’auteur de Ianos, singularité nue.

Ensemble, ils nous parlèrent donc de la façon dont la jeunesse, la vieillesse et le passage entre ses deux états -en gros la vie- étaient traités dans la littérature. Mais pour commencer, ils convenaient de définir ce que l’on entendait par jeunesse et vieillesse. Les intervenants nous confièrent que communément, les jeunes avaient 25 ans ou moins, alors que l’on pouvait vraiment se considérer comme vieux à partir de 75 ans. Quelle était la frontière entre les deux alors ? A quel moment passait-on d’un état à l’autre ? Je suppose que ces deux âges sont à voir sous une perspective sociale, plutôt que comme des indicateurs chronologiques. Les jeunes et les vieux ne sont généralement pas considérés comme des personnes fonctionnelles de notre société -comprendre des gens qui ont un emploi- les premiers auront tendance à être en formation alors que les seconds se sont déjà retirés de la vie professionnelle. Des cas qui se distinguent par le peu qu’on arrive à en tirer et par le besoin d’accompagnement qu’ils peuvent avoir.

Et même si ces considérations que j’aurais aimé voir développées n’étaient pas à l’ordre du jour, on pouvait les voir retranscrites d’une certaine façon chez les personnages de fiction.

Les stéréotypes de l’âge
Ainsi, si le jeune héros est souvent employé, c’est parce qu’il est le candidat idéal pour le parcours initiatique du récit. Puis qu’il a tout à apprendre de l’univers dans lequel il évolue, il permet plus facilement d’introduire ce dernier au lecteur qui en découvrira les mécanismes par ses yeux. Et pour peu que le livre soit destiné à la jeunesse, on a une possibilité non négligeable d’identification. On remarque par ailleurs que lorsque des enfants sont mis en scène, les parents et leur supervision sont souvent absents du récit. Sans doute par souci de ne pas briser l’immersion du lecteur derrière les yeux des protagonistes ou afin de ne pas apporter de raccourci trop aisé au parcours initiatique.

A l’opposé, un personnage âgé endossera plus souvent le rôle d’un antihéros désenchanté, qui s’est retiré de l’aventure soit parce que son âge le handicape, soit parce qu’il en a trop soupé. Généralement ramené à des rôles plus passifs, il est ainsi privé d’action, voire d’interaction, qu’il laissera aux héros. Dans la science-fiction toutefois, on le laissera parfois recourir à un substitut artificiel lui permettant de compenser sa jeunesse perdue, dans une démonstration de transhumanisme déterminée et téméraire.

Les femmes dans l’imaginaire auront comme souvent droit à un traitement spécifique et, comme souvent, pas forcément reluisant. Ainsi la vieille dame est cantonnée au rôle de la sorcière caquetante ou à celui opposé de la retraitée aimable. Et si la jeune femme est généralement dépeinte comme naïve, celle d’âge mûre est située aux antipodes avec des penchants manipulateurs et une tendance au double-jeu.

A côté de cela, les intervenants déplorent un conflit générationnel qu’enveniment trop souvent les médias. N’oublions pas effectivement la guerre qui s’est engagée entre des baby boomers responsables de la plupart de nos problèmes environnementaux et économiques et une génération Y tapageuse et m’as-tu-vu, avec dans la zone tampon une génération X qui a hérité de la fermeture d’esprit des premiers et qui peine à suivre la seconde dans ses cas de conscience politique.

Blague à part, ce conflit de générations est exactement la raison pour laquelle les auteurs devraient sortir aussi souvent que possible leurs personnages jeunes et vieux, hommes et femmes des carcans décrits plus haut : briser les associations automatiques et souvent nocives qui peuvent être faites entre une attitude et un groupe d’individus.

Vision d’auteur
Les intervenants évoquaient ensuite la façon dont un auteur traitait l’âge de ses propres personnages. Ainsi, s’il est vrai que l’un de leurs avantages est de pouvoir librement agir sur le vieillissement des protagonistes, ils firent remarquer qu’ils avaient parfois du mal à les sortir d’un « âge idéal » du héros, qui les rend frais et dispo pour l’aventure. A l’inverse, un média comme le cinéma aurait des contraintes liées à l’âge des acteurs, qui peut parfois poser problème lors de la mise en scène de flashback -comme par exemple le retour sur les années étudiantes d’un « jeune » Matt Murdock. En contrepartie, cette évolution naturelle des acteurs offre une continuité visuelle à l’histoire et peut renforcer l’attachement du spectateur au personnage. Ceux qui ont vu grandir les acteurs de Harry Potter, ou qui ont grandi avec eux sauront sans doute de quoi je parle.

Les auteurs nous firent aussi part de la façon dont leur propre évolution influençait l’écriture et les poussait à plutôt mettre en scène des personnages dans la même tranche d’âge qu’eux-mêmes. On peut aussi remarquer cette influence sur la capacité de projection des auteurs. Ainsi, un jeune auteur ne traitera pas un personnage vieux de la même façon qu’un auteur plus âgé, et ce dernier ne décrira pas un personnage jeune de la même façon que son cadet. Enfin, l’âge des auteurs impacte aussi leur rapport avec leurs personnages, les plus mâtures pouvant ainsi porter un regard plus paternel/maternel sur leurs protagonistes.

Les immortels
Puisque le sujet de cet article est le vieillissement des personnages, il était assez logique de garder pour la fin ceux que l’âge n’affecte pas. Les immortels amènent avec eux bon nombre de variations et de questions. Ne vieillissent-ils vraiment pas ? Car ils grandissent tout de même d’enfants à adultes. Parfois ils bénéficient simplement d’une longévité qui s’étire virtuellement vers l’infini. Et si leur corps n’est pas toujours complètement protégé des affres du temps, leur esprit l’est presque invariablement. La grande utilité de l’immortalité c’est donc finalement l’accumulation des connaissances pour celui qui en bénéficie. Toutefois, dans le cas des humains, l’immortalité a bien souvent un prix, comme pour tempérer l’urgence de l’Homme à accomplir ce vieux fantasme.

Utopiales 2017 – 2ème Journée : Une histoire qui se raconte

Pour cette conférence sobrement intitulée Narration Procédurale, nous retrouvions Fibre Tigre, Jehanne Rousseau et William David qui nous parlaient des possibilités de génération narrative dans les jeux vidéo. Tout le monde connaît le principe de la narration, et il est possible que vous ayez déjà entendu parler de « procédural » dans le jeu vidéo, notamment pour la génération du level design (Binding of Isaac,Spore et d’autres encore.) qui est alors confiée à l’IA et à un aléatoire orienté afin de présenter une expérience nouvelle à chaque itération. La narration procédurale reprendrait donc ces principes afin d’offrir une histoire unique à chaque joueur.

Une arbre de possibilités
Un retour d’abord sur ce qui s’est déjà fait dans le domaine. On citait ici Daggerfall dont une IA gérait l’univers et Skyrim pour les multiples choix de dialogues qui permettent aux personnages de forger leur propre histoire et leur propre caractère. De manière générale, les RPG de Bethesda proposaient toujours cette grande diversité d’interactions textuelles, du moins jusqu’à Fallout 4.

L’une des pistes pour la narration procédurale serait donc de proposer un grand nombre de voies sur lesquelles engager l’histoire et de solliciter le joueur en certains points pour combler des vides, à la manière d’un texte à trous. Aujourd’hui, nous avons la technologie pour automatiser l’écriture de telles narrations riches et multiples, en associant par exemple une IA capable d’apprendre (deep learning) et un corpus conséquent de textes. Versu, un simulateur de discussion est dores et déjà à disposition des créateurs afin de produire des personnages et des histoires montées de toute pièce par l’intelligence artificielle.

L’ennui, c’est qu’un tel procédé reste difficile à développer. Qui plus est, la narration procédurale restera toujours limitée par le corpus dont on la nourrit. Enrichir une histoire exigera donc des zones littéraires toujours plus grandes à mettre en relation par l’IA.

Le multijoueur et l’émergence
Qui plus est, les joueurs ont suffisamment soupé des histoires à embranchements pour en discerner les mécanismes. Il s’est ainsi créé une forme de métajeu où le joueur visualisera -et parfois cherchera à optimiser- l’arbre des possibilités, chose qui peut mettre à mal la suspension de l’incrédulité et donc l’expérience de jeu.

Ainsi plutôt que d’avoir à créer une IA qui serait suffisamment complexe pour que son influence ne soit pas anticipée par le joueur, une autre piste serait de placer plusieurs joueurs ensemble et de s’assurer que les actions de l’un impacteront l’expérience de l’autre, suscitant une réaction qui aura un impact en retour, etc.

On parle ici d’émergence puisque l’univers et son histoire se construisent grâce à l’usage des mécaniques de jeu. Souvent, les mécaniques les plus simples sont d’ailleurs celles qui, associées à une grande diversité de contenu, permettent le plus d’interactions. On peut ici citer Minecraft où récolter et combiner des centaines d’éléments différents permet la conception d’une multitude d’objets, eux-mêmes s’empilant pour créer des structures énormes de taille et de complexité. Un autre exemple serait celui de Sleep is Death un jeu extrêmement simple qui met à disposition d’un joueur une galerie d’éléments graphiques (comme des autocollants) pour qu’il en fasse une scène. Cette scène est ensuite proposée à un second joueur qui pourra alors cliquer sur l’un des éléments, renvoyant son choix au premier joueur qui en construira les conséquences dans une seconde scène, et ainsi de suite. Dans ce concept à la fois très simple et très riche, on retrouve une relation joueur-Maître du jeu semblable à celle des jeux de rôle papier.

Enfin à l’opposé, un jeu complexe comme EVE Online permet une certaine forme d’émergence en laissant toute liberté aux joueurs et en n’intervenant que peu dans l’histoire de sa communauté. Ainsi, lorsque des bots programmés pour la récolte de ressources arrivèrent sur les serveurs, les développeurs annoncèrent qu’ils n’interviendraient pas et qu’ils laisseraient les joueurs régler ce problème. La communauté s’organisa donc, engageant ceux qu’elle considérait comme des pirates et des hors-la-loi pour traquer et chasser les automates.
Ou quand le laisser-faire se montre finalement plus enrichissant qu’une tentative d’équilibrage…

Finalement, cette table ronde nous ramène à l’éternel débat entre narration et narrativation. Entre ceux qui vous font visiter leur maison et ceux qui vous en donnent simplement les clés. Faut-il mener les joueurs au travers d’une histoire à la mise en scène travaillée, ou faut-il simplement leur donner les outils pour construire leur propre expérience de jeu ? Y a-t-il un équilibre parfait à atteindre entre les deux ? Car finalement, chaque école trouve ses adhérents, tant chez les joueurs que chez les concepteurs.

Utopiales 2017 – 2ème Journée : Temps de légende

Cette conférence intitulée Les Enfants de Chronos avait pour sujet le traitement des légendes dans la littérature et l’origine des mythes. On y recevait comme intervenants Guy Gavriel Kay, auteur de la série de romans La Tapisserie de Fionavar, Ellen Kushner, autrice des romans Riverside, Jeanne-A Debats qui a écrit les romans du Cycle de Navarre et Valérie Mangin que j’avais déjà vu durant la conférence sur le temps en BD, puisqu’elle est la scénariste d’Abymes.

Temps légendaires, temps historiques
En guise d’introduction, la question fut posée de savoir ce qu’était le mythe, aussi les intervenants en construisirent ensemble la définition. Les mythes seraient ainsi des vérités auxquelles on ne croit plus. Plus précisément, ils sont une illusion volontaire, un mensonge qui donne du sens à une vérité que l’on ne sait expliquer. Ce sens, c’est le point commun entre le mythe et l’Histoire, la part de vrai que l’on retrouve dans les légendes. Ainsi, le mythe de Prométhée nous rapporte en substance l’histoire de l’être humain qui jadis a dompté une force de la nature et s’est élevé au dessus de l’ordre naturel.

Les temps légendaires, même une fois distingués de l’Histoire, y restent donc attachés par leur sens et c’est sans doute ce qui leur permet de subsister à travers les âges et les découvertes. Ils constituent ainsi un temps intouché que l’on peut invoquer chaque fois que sa signification a besoin d’être rappelée. Mais une mythologie, si elle survit au passage du temps, peut toutefois perdre son essor et ne plus s’enrichir si sa culture fondatrice passe par une période de mutation. On peut par exemple associer le déclin du mythe grec à la montée du christianisme d’une part, mais aussi à la rationalisation qui touchaient les concepts et aspects de la vie jusque là représentés par des dieux.

Fantasy historique et Histoire romancée
Maintenant que l’on sait distinguer les temps mythiques des temps historiques, on peut en flouter les frontières avec la fantasy historique. Ici plutôt que de donner réellement corps à des mythes et des légendes, on s’attarde sur la perception de ceux pour qui ces mythes étaient des vérités. Ainsi, des phénomènes qui pourraient facilement s’expliquer à notre époque redeviennent mystérieux, anormaux, voire dangereux. Ce type de récit permet de ramener le lecteur au niveau d’un personnage qu’il pourrait autrement qualifier de superstitieux et donc de lui retirer tout sentiment de supériorité.

Malheureusement, tout comme les arts graphiques peuvent servir de propagande, les mythes peuvent être utilisés afin de romancer l’Histoire d’un peuple, le glorifier et le rassembler autour d’un symbole commun ou de légitimer ses actions. L’histoire de la fondation de Rome donnait ainsi un sentiment de suprématie et de puissance à ses habitants. La France colonialiste, mais aussi l’Allemagne nazie s’étaient elles-mêmes revendiquées un héritage mythologique afin de soutenir leurs idéologies. La Finlande, lorsqu’elle voulut réclamer l’indépendance avait appuyé cette revendication par la lecture des Eddas scandinaves.

Les mythes sont ainsi désignés comme un passé glorifié, capable de ramener une civilisation à une époque où ses rêves étaient plus grands et d’ainsi susciter la nostalgie de cette grandeur pourtant fictive. Les mythes se révélant souples dans leur narration -puisque le cœur du mythe est son sens- ils sont relativement faciles à adapter selon le conteur et l’auditoire, ce qui les rend simples à détourner à des fins particulières.

L’échelle du mythe
Mais le mythe n’existe pas qu’à l’échelle d’une civilisation ou d’une cité. Puisqu’il s’agit d’un passé romancé, à la perception altérée, alors l’enfance de chaque individu est susceptible de donner un « mythe personnel ». Les exemples qui me viennent à l’esprit seraient les explorations d’un jeune Shigeru Miyamoto qui lui inspira plus tard l’univers de Zelda, ou la collection d’insectes de Satoshi Tajiri qui l’amena au concept de Pokemon.

Les mythes se basant souvent sur la description de certains archétypes de comportement humain, il est possible d’associer ces comportements de personnages mythiques à des personnages plus modestes et de transposer ainsi le mythe d’une cité à l’échelle d’une famille par exemple. On obtient ainsi une connaissance plus familière, une lecture sans doute plus intuitive des relations qui peuvent animer les différents personnages, puisque les liens entre ceux-ci sont les mêmes que ceux de personnages qui ont traversé les âges.

Petit guide à l’attention des auteurs de mythes
Pour terminer, les intervenants nous prévinrent aussi de deux erreurs à ne pas commettre lorsqu’il s’agit d’écrire un mythe. La première serait de ne pas y croire soi-même, du moins de ne pas croire en ce à quoi le mythe donne sens. J’imagine qu’une légende que l’on écrit sans conviction, sans s’être laissé touché par l’idée qu’elle amène est à l’image d’une blague sans chute. L’autre erreur serait de trop chercher à rationaliser la magie. En effet, comment pourrait-on laisser l’auditeur réfléchir à la signification profonde de la légende, s’il doit appréhender les mécaniques logiques de sa magie ? Cette dernière est donc mieux utilisée comme moyen de porter le sens, pas comme un élément devant obligatoirement faire sens lui-même.

D’ailleurs, puisque l’on parle de rationnel, il semble qu’il faille admettre que parfois, les comportements humains ne le sont pas. Ainsi, le méchant qui devient méchant à cause d’une enfance difficile est un personnage de moins en moins crédible. C’est d’ailleurs visible à notre époque, puisque les mécréants d’aujourd’hui n’étaient pas forcément les enfants les plus malheureux d’hier.