Pour cette table ronde, nommée Génomanciens, mais qui aurait aussi pu s’appeler « Bienvenue à Gattaca : un futur proche ? » étaient reçus Lilie Bagage, autrice notamment du roman Les Larmes de Yada, Baptiste Beaulieu, médecin et romancier mais aussi créateur du blog Alors voilà, Karim Si-Tayeb, chercheur à l’institut du thorax, à Nantes et Sylvain Chambon consultant en bases de données et auteur de nouvelles.
Le sujet pour cette heure était le déchiffrage de notre code ADN : ce dont les technologies actuelles étaient capables mais aussi ce que les avancées futures permettraient. On se questionnait ainsi sur la part du génome dans la maladie, la possibilité de prévoir l’avenir médical par l’étude des gènes et bien sûr les interrogations éthiques qui vont avec.
Problème d’actualité
Pour répondre à la question « Qu’adviendrait-il de nos données génétiques si nous venions à pouvoir les déchiffrer clairement et à les partager ? » on peut dores et déjà regarder ce qui est fait de nos données de santé. Et malheureusement, entre la discrimination à l’assurance -ceux qui en ont le plus besoin s’en voient refuser l’accès- et le frigo connecté qui collecte les données de votre alimentation afin qu’elles soient revendues, le présent ne met pas exactement en confiance pour l’avenir.
Pire encore, l’un des intervenants partagea avec nous l’histoire d’un chirurgien qui avait profité d’une opération de l’appendicite pour ligaturer les trompes de sa patiente qui était trisomique. Il avait selon lui « fait ce qu’il fallait ».
Je dois avouer avoir été assez choqué d’apprendre qu’une telle chose était arrivée -et qu’elle pouvait encore arriver ?- car si se soucier de ce qu’un organisme peut faire de nos informations personnelles me semble normal, je ne crois pas que qui que ce soit devrait avoir à s’inquiéter de ce qu’un individu -supposément assermenté- peut se permettre de vous faire quand vous êtes inconscient sur la table d’opération.
Toucher au génome
Pour en revenir à l’étude génétique, on se questionnait ensuite sur l’éventualité de modifier les gènes afin de guérir ou prévenir certaines maladies. Et il s’avère que cela reste encore compliqué, pour toute une liste de raisons : D’abord, les modifications restent encore à l’heure actuelle trop imprécises -pour être éthiquement envisageables sur des humains, entendons nous- et la probabilité de provoquer des mutations indésirées (« off-target ») est encore trop grande. Le processus réclamera parfois l’intervention d’un troisième parent, afin de corriger le génome d’un enfant, ce qui peut être un autre frein. On compte aussi bien sûr le cas des pathologies multigéniques, qui obligeraient à intervenir sur plusieurs gènes, ou le facteur épigénétique, c’est à dire l’action ou réaction d’un gène à son environnement.
On évoquait aussi le rôle des mitochondries dans certaines maladies génétiques, alors que ces dernières ont un fonctionnement particulier. Elles possèdent en effet leur propre code ADN et ne sont pas présentes dans toutes les cellules du corps humain, ce qui a amené à penser qu’il s’agit d’une bactérie étrangère venue se greffer à l’organisme de nos ancêtres il y a quelques milliards d’année. Que faire alors, quand certains de nos problèmes génétiques proviennent en fait d’un ADN qui d’une certaine façon n’est même pas le nôtre ?
Humanité adaptée
Le dernier sujet de l’heure était les possibilités d’évolution, naturelle et forcée, de notre espèce. En effet l’humanité continue d’évoluer, mais elle échappe pourtant à la sélection naturelle. Quel est alors le nouveau moteur de cette évolution ? Pour la plupart des espèces se sont les individus les plus adaptés à leur environnement qui survivent pour transmettre leurs gènes -notez que l’on parle du plus adapté, pas du plus fort- et c’est ainsi que se fait l’évolution. Mais l’être humain est désormais motivé par d’autres facteurs, socio-économiques notamment. Perpétrer l’espèce n’est plus un souci. Ce qui l’est, c’est qu’au moins un des deux parents aient un travail pour subvenir au besoin de la famille. Et évidemment il faut que les deux aient le désir d’avoir un enfant.
Pour revenir aux considérations transhumanistes, la question se posait de savoir si l’on pouvait forcer l’évolution humaine, notamment pour s’adapter aux bouleversements climatiques. Il semblerait ainsi que dans les esprits, ce soit plus simple -ou peut-être juste plus rigolo ?- de transformer l’humanité pour l’adapter à ses bêtises que de la raisonner pour arrêter les dites bêtises. Mais pour répondre à la question, si nous sommes capables d’anticiper les changements climatiques à venir, la manipulation génétique n’est pas la solution pour s’en prémunir.
Les cas de l’eugénisme et de la culture du beau, s’ils n’ont pas été abordés durant l’heure, le furent brièvement par une question du public. A ce titre, on peut rappeler quelques œuvres comme le film Bienvenue à Gattaca, le roman Et on tuera tous les affreux ou encore le manga Gunnm qui évoquent toutes la façon dont une société mue par l’accomplissement d’un idéal génétique peut se trouver scindée.
Mais si j’ai retenu une chose de cette conférence, c’est que le futur de la manipulation génétique n’ira peut-être pas vers un schisme entre les imparfaits et les plus-que-parfaits retouchés. Tout comme on le voit avec nos données personnelles et les réseaux sociaux, il paraît plus vraisemblables que l’on se dirige vers une marchandisation des plus petits composants de nos corps, où seront d’une part récoltées nos informations génétiques et où nous serons d’autre part vendus des procédés visant à les modifier.