Utopiales 2017 : 4ème journée – Faire découvrir le jdr

Cette conférence intitulée Enseigner et transmettre un jeu de rôle accueillait comme intervenants Vivien Feasson, l’auteur des Errants d’Ukyio et de Perdus sous la pluie, Guylène le Mignot, co-autrice de 6 Etoiles en Guerre et 6 Voyages en Extrême-Orient, Thomas ‘Pikathulhu’ Munier auteur et illustrateur dont vous pourrez trouver le travail sur legrog, Sarah Newton qui a participé à la création de plusieurs jeux de rôle en tant qu’autrice mais aussi cartographe et illustratrice, et enfin Julien Pouard que je vous ai déjà présenté dans l’article sur le Temps dans les jeux de rôle.

Le sujet de cette table ronde était la façon dont le jeu de rôle s’enseigne et se transmet, des auteurs aux joueurs et des joueurs entre eux. Le jeu de rôle est en effet un média dont la transmission est indirecte, c’est à dire qu’une fois le livre en votre possession, les concepteurs des règles ne seront plus présents pour garantir le bon suivi de celles-ci. A l’inverse d’un jeu vidéo dont le code n’est pas -toujours- négociable, cette forme ludique s’expose ainsi à une perte d’informations ou à des interprétations inattendues des règles.

Vendre son jeux de rôle
A celui qui veut offrir un jeu de rôle à la communauté, plusieurs questions se posent quant à la façon d’aborder l’entrée des joueurs dans son univers. Faut-il que le livre soit vendeur de son contenu ? Qu’il se rende accessible et attrayant au plus grand public ? Les concepteurs doivent ils se montrer pédagogues et offrir l’enseignement de leurs règles et de leur univers, à la manière d’une encyclopédie ? Ou faut-il se faire auteur et glisser les règles entre deux paragraphes d’histoire et de narration ?

Le jeu de rôle a beaucoup changé avec les années, et alors qu’auparavant il prenait plutôt la forme de péripéties donjonesques, il a aujourd’hui de nombreux visages. Va-t-on alors présenter aux néophytes le jeu de rôle, dans sa forme classique la plus répandue, ou son jeu de rôle, relevant d’une vision nouvelle et différente de ce loisir ?

Dans l’idée d’un jeu mis dans le commerce, les concepteurs fournissent souvent avec leur oeuvre un condensé des règles (l’écran de jeu), qui résume l’essentiel des mécaniques de jeu. On peut aussi trouver la mise en accès public des premiers chapitres du livre, afin de donner au futur lecteur un aperçu du système de jeu et de l’univers abordé. Parfois, des vidéos de démonstration sont tournées, à l’initiative des concepteurs ou des joueurs eux-mêmes.

Des joueurs et des jeux
Nouveaux joueurs, nouveaux jeux, anciens joueurs, anciens jeux. Les jeux de rôle n’ont cessé de se diversifier et la façon d’aborder ce loisir a donc évolué elle aussi. Ainsi les nouveaux jeux de rôle se voudront plus faciles à prendre en main par les néophytes, puisqu’ils se détachent des modèles connus. A l’inverse, les plus anciens, ou ceux qui se basent sur les premiers systèmes de jeu, auront tendance à exiger une certaine culture de la part des joueurs pour être abordés. Pour certains modèles -ceux présentant un système de classe par exemple- différents personnages offriront différents styles de jeu et donc différentes expériences et exigences.

Les joueurs, pour mieux s’approprier et restituer l’univers du jeu de rôle auront à acquérir certaines compétences que le livre de règles se doit de leur enseigner. Il faut ainsi leur donner les clés pour comprendre la société, la technologie, l’environnement, etc. du monde dans lequel leurs personnages vont évoluer. Parfois, les compétences d’un joueur dans la vraie vie peuvent devenir des guides pour le personnage qui bénéficie alors de ce bagage culturel. Il faut aussi offrir un contexte d’introduction dans une partie, la présentation des protagonistes étant importante puisqu’elle permet de briser la glace entre les différents joueurs et de lancer le début de leurs interactions sociales.

Enfin, il est bien vu de concevoir son jeu de rôle comme une fractale, offrant des informations condensées d’abord, mais qui seront développées par la suite. Ainsi les concepteurs pourront trier les non-dits de la fiction : en privilégiant ce qui est unique et propre à leur univers et en laissant de côté les codes admis du genre (la société féodale de la fantasy, la high-tech du cyberpunk, etc.)

Bricolage ludique
Loin d’être imperméables à la nouveauté, les vétérans du jeu de rôle font cette petite gymnastique de se détacher des anciens systèmes. Je dis petite gymnastique car, si dans les années 80-90 les jeux de rôles se constituaient principalement d’aventures, d’enquêtes et exigeaient la maîtrise d’un certain système, les jeux plus récents amènent peu de règles et laissent ainsi une plus grande part à l’incarnation du rôle.

Mais les anciens rôlistes sont souvent déjà habitués à prendre des libertés par rapport aux règles de leurs jeux et même à les adapter, à les modifier à leur convenance. Cette tendance au bricolage, permise par le fait que le jeu de rôle soit un média à la transmission indirecte, s’explique de plusieurs façons.

Les origines du jeu de rôle, tout d’abord, nous ramène à la culture du hacker*, puisque ce média a d’abord existé par le détournement des jeux de guerre. Il est donc normal qu’il passe lui-même entre les doigts de ses utilisateurs à un moment ou à un autre. Ensuite, et malheureusement, les anciens du jeu de rôle ont pris l’habitude d’être confrontés à des systèmes de jeux parfois bancales, dont ils devaient colmater les brèches eux-mêmes. Ces exercices de gameplay les ont alors encouragé à s’approprier un jeu, à en tirer des versions et correctifs personnels. Enfin, et cela est encore lié à la transmission indirecte de cette forme de jeu, les règles peuvent être sujettes à interprétations selon les personnes et les situations. Loin d’être une forme ludique rigide, le jeu de rôle permet et exige même parfois une certaine souplesse et ouverture d’esprit.

C’est finalement peut-être pour cela que les jeux de rôle plus récents se passent de règles complexes. Si les joueurs finissent toujours par bidouiller le système de jeu selon leur bon vouloir, n’est-il finalement pas plus pertinent de simplement leur donner des outils ludiques pour construire leur propre expérience de jeu ?

Le dernier conseil des intervenants pour faire découvrir son jeu de rôle était alors d’aller à l’essentiel, bien formuler ses textes et illustrer les règles d’exemples, souvent plus parlants. L’introduction d’un jeu de rôle se devait aussi de présenter l’univers et d’inviter le joueur à s’y immerger.

*La culture du hacker consiste à s’approprier un objet -culturel ou technique- afin d’en détourner l’usage, ou d’en adapter le fonctionnement à de nouvelles situations. Cette culture est la raison pour laquelle aujourd’hui la conception des objets -ou même des logiciels- tend vers la simplification et l’hermétisme : si une entreprise voulait que son produit soit utile à plus de choses que ce pourquoi elle vous l’a vendu, elle vous l’aurait fait payer plus cher.

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