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Utopiales 2017 – 2ème journée : Atelier JDR

Durant la conférence sur les Univers intemporels, j’ai appris l’existence d’un atelier de conception de jeu de rôle. Je m’étais alors dit qu’il y avait des chances que cela soit instructif, même si ça me coûtait de manquer quelques conférences.

Et ça l’était. C’est Manuel Bedouet (du podcast Ludologie) donc, qui s’était proposé d’animer cet atelier et commença la séance avec une présentation sur les jeux de rôle en format court. La présentation contenait d’ailleurs pas mal de références dont les liens se trouvent au bout de cet article. Évidemment, le concept m’a intrigué car quand je me suis attablé à la création d’un jeu de rôle il y a deux ans maintenant, j’en ai écrit des pages et des pages. Alors pouvoir résumer un jeu de rôle en moins de dix, ça me paraissait saugrenu.

Histoires et exemples
Tout commence avec le mouvement Old school renaissance (OSR) qui voit le jour grâce à la licence ludique libre et un assouplissement des droits d’auteur sur les créations de jeux de rôle. Ce mouvement voit l’apparition de nombreux clones et assimilés des premiers jeux Donjons et Dragons, mais c’est surtout dans ce vivier qu’apparaissent les One page dungeon, qui comme leur nom l’indique, constituent une aventure donjon d’une page. Ce ne sont pas à proprement parler des jeux complets, mais le concept est là et agitera la créativité des concepteurs pour les années suivantes.

Ainsi en 2007, John Grumph crée le DK de poche, un format court qui reprend le système DK. Il faut noter ici une certaine souplesse dans le principe du « une page », car ce DK de poche tient en vérité sur quatre. En 2008, Philippe Tromeur se lance le défi de créer un jeu d’une page, toutes les semaines et ce pendant 1 an. Un exercice qui démontre une créativité certaine. En 2009, John Harper fait paraître le jeu Ghost/Echo, déstabilisant par sa forme essentiellement graphique, où les images prennent la grande majorité des 4 pages. Il publiera aussi Lady Blackbird, bien plus textuel, en 16 pages.

La même année, Nicolas Dessaux, une figure influente du mouvement OSR, publie Searchers of the Unknown une forme minimaliste de D&D. Puis en 2012, c’est l’univers de Cthulhu qui passe par une compression en format court, sous la plume de Graham Walmsley. Aujourd’hui on peut compter Grant Howitt et Manuel Bedouet qui s’essayent au genre.

Pour qui, pourquoi, comment ?
Le format court constitue tout d’abord un bon exercice de conception pour les game designer. En réduisant le jeu à une seule mécanique de résolution, on est forcé de s’assurer que cette mécanique retranscrive bien le concept développé. Du reste, le format court est rapide à écrire et à mettre en page, pour peu qu’il soit bien pensé. Pour les joueurs, un tel jeu est facile à prendre en main et à appréhender. Le peu de règles qu’il apporte est simple à assimiler et laissera la part belle à l’interprétation. Ce format est donc approprié pour les parties rapides, pour faire découvrir le jeu de rôle à des débutants ou pour expérimenter de nouvelles mécaniques. A l’inverse, le format court ne permet pas d’articuler un univers riche ou de longues campagnes, et on préfère alors à ces derniers des univers à l’identité marquée et relativement simple (Gangs of Mutants of New York reprend par exemple le principe des Tortues ninja). Le format court est donc mieux utilisé pour des one shot et en tenant les joueurs dans un espace narratif restreint.

Mais alors la conception d’un jeu de rôle en format court, comment ça se passe finalement ? Et bien on peut la réduire à cinq composantes essentielles : Un Concept initial, un Univers , des Personnages , une Mécanique de résolution et un Générateur scénaristique.

Puisque c’est un terrain propice à l’expérimentation, on commence par poser un Concept initial particulier, peu usité. La première idée qui passe par l’esprit et qu’on jette parce qu’elle est absurde peut trouver son essor ici. On imaginera ensuite ce concept développé en mécaniques de jeu que l’on charcutera pour les réduire à un unique système de résolution. Mais une chose à la fois.

L’Univers développé ne doit pas l’être tant que ça car cela impliquerait trop de règles. Il s’agira donc plutôt de l’évoquer, d’en donner le ton et l’ambiance. Il est ainsi recommandé de se tourner vers la pop-culture pour laisser aux joueurs un terrain connu, dans lequel ils retrouvent quelques repères. La plupart des formats courts s’introduisent ainsi en se comparant à tel ou tel film ou série. Évidemment, il ne s’agit pas de simplement reprendre un genre cinématographique et d’y coller un système de dés. Comprendre les codes de genre permettra de les détourner, afin d’offrir une expérience inédite aux joueurs ou de les retranscrire en mécaniques de jeu, pour une meilleure immersion.

Les Personnages comme l’Univers doivent avoir une identité marquée, idéalement qui sort des canons du jeu de rôle. Leur concept doit tout de même rester assez simple pour admettre une grande variation de comportement et de forme, mais aussi afin que les joueurs puissent se les approprier rapidement en y apportant leurs propres idées.

La Mécanique de résolution, la seule donc, sera au centre du jeu. C’est ici que toute l’expérimentation résidera, même s’il est possible de s’inspirer de systèmes existants et de les remanier, les simplifier. On peut à l’inverse abandonner les dés et se tourner vers du matériel de jeu peu utilisé, comme les cartes, les jetons, etc.

Le Générateur scénaristique est supposé être une assistance plus qu’un guide. S’il permet de lancer l’intrigue, celle-ci sera généralement bien nourrie par les actions des joueurs et les traits de leurs personnages. On peut alors se contenter de tables aléatoires, à l’image des tables de rencontre de donjon et qui serviront soit à faire démarrer le scénario, soit à retourner la situation.

Pour aider à la conception, de nombreux outils existent, eux-mêmes sous forme de jeux qui plus est, ce qui permet finalement de jouer à créer des jeux. On peut ainsi citer les Mécanicartes qui fournissent des idées de support et de concept pour les jeux de sociétés ou les Rory’s story cube qui présentent sur chacune de leur face des éléments pouvant inspirer les créateurs (ou pas d’ailleurs, j’ai vu un de ces dés tirer un oignon en guise de résultat). Il est possible aussi, si l’on est concepteur et que l’on a une pléthore d’idées qui nous laissent indécis, de produire des tables aléatoires pour la conception et de rattacher les grandes lignes de son jeu -comme l’ambiance, l’univers, l’objectif- aux résultats.

Et dans le concret
Pour l’heure qui restait de l’atelier, nous avons donc mis en pratique ces méthodes selon un procédé simple. Chacun choisissait un type de personnage, puis un concept initial, une situation de départ. Ayant voulu faire le petit malin, j’ai utilisé un concept que je voulais développer dans mon propre jeu de rôle, afin que les réflexions du jour me bénéficient ensuite. Seulement voilà, il fallut ensuite donner ses personnages à son voisin de droite et sa situation initiale au voisin de gauche. Une fois dispersés, mes deux concepts ne semblaient plus si malins. Ma voisine de droite écopa donc de Tsukumogami qui voulaient s’échapper d’une mine, et mon voisin de gauche dut faire avec des activistes qui voulaient s’échapper eux aussi, mais d’une maison japonaise cette fois.

Quant à moi, j’avais désormais à m’occuper de « Suivants de chevaliers » « abandonnés par les personnes auxquelles ils tiennent ». Et comme j’avais joué avec les Mécanicartes juste avant, je me suis donné la contrainte supplémentaire d’avoir un système de pioche de jetons.

Quand je me suis retrouvé avec les deux pièces de concept entre les mains, la première chose qui m’est venue à l’esprit était l’écuyer de Sacré Graal, chargé comme une mule et utilisant des noix de coco pour compenser l’absence de cheval en en faisant le bruitage. Je suis donc parti sur cette ambiance bras cassé, où une équipe pas très fine d’écuyers avait été abandonnée par ses chevaliers et décidait de partir à leur recherche. Les péripéties étaient celles que l’on pouvait trouver dans tout univers médiéval et fantasy : des bandits de grand chemin, des invasions barbares, des sorcières et des trolls, etc.

Le système de résolution m’a donné un peu de fil à retordre, parce que je n’avais jamais joué à piocher des jetons jusque là. Et puis il n’y avait que deux couleurs à disposition, ce qui donnait un système de résolution Échec/Réussite assez binaire. Heureusement, Manuel m’a permis de donner un côté plus vivant à ce système. Ainsi, lorsque les joueurs piochent une Réussite, il la conserve. À l’inverse les Échecs sont toujours remis en jeu. De cette façon, plus les joueurs avancent dans l’aventure et plus celle-ci se complique car les jetons Réussites sont plus rares. Et pour éviter l’inéluctable instant où les joueurs seraient voués à l’échec, faute de jetons Réussite, j’ai ajouté le principe des Calamités, qui permet d’enrichir le caractère d’un personnage tout en apportant sa pierre à l’intrigue, et au système de jeu. Les joueurs peuvent alors quand ils le souhaitent invoquer la Calamité de leur personnage, Calamité dont la résolution permet la remise en jeu de jetons Réussite, pour un rééquilibrage bienvenu des chances.

Le résultat en image

Nous étions une dizaine à participer à cet atelier, pour des résultats très divers. Cela allait du jeu où des pièces d’armure animées devaient guider un aventurier débutant dans un donjon, au concours du plus gros mangeur de boucherie parmi un groupe de notaire (ou quelque chose comme ça). Bref des tas de personnages que l’on n’a pas l’occasion d’incarner souvent.

Et après ?
Je ne vais pas dire que depuis cet atelier je gribouille des formats courts d’une page jour après jour. Ceci dit, ma vision du jeu de rôle a pas mal évolué et surtout ma vision de la conception ! Je regarde l’usine à gaz que j’ai produite jusque là et je commence à voir ce qui peut être jeté et ce qui peut être conservé afin de réduire la charge de règles.

En tout cas c’est un exercice que je recommanderais à tous les concepteurs ici bas !

Références
Podcast Ludologies
https://soundcloud.com/ludologies

One page dungeon Contest
https://www.dungeoncontest.com

Dk de Poche
http://legrumph.org/Terrier/?Jeux-de-role/dK-de-poche

Les jeux de rôle de Philippe Tromeur
http://philippe.tromeur.free.fr/53/index.htm

Podcast sur Ghost/Echo de John Harper
http://www.lacellule.net/2016/05/podcast-one-shot-n45-ghostecho-de-john.html

Lady Blackbird de John Harper
http://ladyblackbird.ecuries-augias.com

Searchers of the unknown de Nicolas Dessaux
http://www.lulu.com/shop/nicolas-dessaux/searchers-of-the-unknown/ebook/product-21361368.html

Cthulhu Dark de Graham Walmsley
http://legrumph.org/Terrier/?Jeux-de-role/Cthulhu-Dark

Patréon de Grant Howitt
https://www.patreon.com/gshowitt

Aux marches du pouvoir de Manuel Bedouet
http://www.shamzam.net/blog/nos-jeux-deroles/aux-marches-du-pouvoir/

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Utopiales 2017 – 1ère journée : Création de jeu

Pour cette deuxième conférence, l’intitulé était : Le temps de la création, et nous avons donc pu bénéficier de l’expérience de plusieurs professionnels du jeu vidéo qui sont : William David de Swing Swing Submarine, Vanessa Desbiens de Bishop Games et Michael Pieffert du studio Mi-clos. A noter que cette conférence était interactive, c’est à dire que le public pouvait lancer ses questions tout du long et pas seulement à la fin. Je me suis personnellement abstenu, trop occupé avec mes notes. Parler ou écrire, il faut choisir.

En temps et en heure
La première question, sans doute pour coller avec le thème de la semaine, portait sur le temps moyen que pouvaient prendre la conception et la production d’un jeu vidéo. Comme on pouvait s’y attendre la réponse était de l’ordre de « ça dépend ». C’est vrai que on ne fait pas un jeu indé comme on fait un triple A, et qu’un jeu solo ne demande pas le même investissement en temps et en efforts qu’un MMO.

Le temps de la production toutefois, est fragmenté de la même façon pour la plupart des studios, à peu de choses près.

Il y a d’abord la Pré-production, le temps d’avant le jeu, où les game designers vont lancer, modeler, jeter et relancer des concepts de jeu jusqu’à en poser un.

Vient ensuite l’étape de Prototypage où l’on teste les différentes mécaniques de jeu, leur faisabilité, leur jouabilité, l’attrait qu’elles peuvent avoir et l’expérience joueur qu’elles peuvent susciter.

Après cela, on passe à l’Alpha qui est la phase de test en interne du jeu. Les différents membres de l’équipe prennent en main leur création et peuvent ainsi en appréhender la cohésion.

Vient alors la phase de Bêta, où les testeurs sont embauchés pour mettre à l’épreuve les mécaniques de jeu, chercher les failles dans le système et donner un retour d’expérience. Pour certains MMO, les joueurs peuvent être invités en masse à poser les yeux sur les dernières nouveautés et à expérimenter les premiers bugs.
On appelle aussi cette phase « accès anticipé » lorsque les bêta testeurs payent pour faire leur boulot. Inutile de dire que les intervenants n’étaient pas à l’aise avec ce procédé.

Même si le temps de production d’un jeu est variable, il est conseillé de lui donner une fin. Les perfectionnistes auront en effet tendance à vouloir retarder le moment de la publication afin de peaufiner, fignoler, donner un dernier coup de polish à leur création. De l’importance de la deadline…

On note d’ailleurs que sur 10 idées de jeux, une seule parvient réellement au bout de ce processus de création. Les 9 autres ne passent même pas toujours la pré-production et les projets peuvent être rejetés à différentes étapes de leur développement. Parfois ils sont avortés alors que leur concept et leur prototype étaient pourtant déjà bien aboutis. On en déduit ainsi que 90% du travail d’un game designer consiste à remplir une corbeille.

L’étincelle de la création
Avoir l’idée d’un nouveau jeu vidéo peut sembler aisé, mais par quel bout faut-il prendre la création ? Pour certains ce sera l’idée d’un gameplay, l’envie d’expérimenter certaines mécaniques de jeu. Pour d’autres ce sera la perspective de raconter une nouvelle histoire. D’autres encore chercheront comment combiner ces deux aspects au service d’une expérience joueur spécifique. J’ajouterais qu’il y a aussi des créateurs, pas forcément majoritaires, qui cherchent à mettre en relation ces trois composantes pour adresser un message à leurs joueurs.

Une autre question évoquait le lien entre l’industrie du jeu vidéo et les scénaristes de métier, de plus en plus souvent sollicités. La meilleure approche pour un scénariste est alors ou bien de se greffer à une équipe en recherche de ses compétences ou bien d’en aborder une et d’y initier un projet. Il paraît même que les studios sont ouverts à ce genre de proposition !

La dernière question*, venue clôturer le sujet, portait sur la place du son et de la musique dans les jeux vidéo. Ou plutôt la place des compositeurs et sound designer. Ces derniers pouvaient travailler en interne dans le studio, ou être des intervenants externes. Dans tous les cas, il était important d’échanger abondamment avec eux afin qu’ils puissent capter l’essence du jeu développé et la retranscrire harmonieusement en musique.

En fait, mesurer le travail de création d’un jeu vidéo est difficile tant l’échelle des studios peut varier. Les grandes équipes mènent des productions longues de plusieurs années pour aboutir à des millions de ventes, alors que les indépendants plus modestes tenteront d’abattre plus régulièrement de plus petites quantités de travail. Parfois, les impératifs financiers (pour ne pas dire actionnaires) exigent une ponte annuelle des œufs d’or, ce qui provoque immanquablement une compression des équipes ou de la qualité du produit final. Si vous vous demandez pourquoi votre perle de l’E3 est toute buguée à sa sortie, ne cherchez pas trop loin, c’est parce que sa principale raison d’être est de payer leurs soirées Bahamas-cocaïne à une bande de foufous à cravate.

*En vérité, il y avait une autre question après celle-ci, une question qui même en 2017 revient encore et encore dans les bouches et dans les médias. Un petit vieux à l’air très concerné avait demandé si les créateurs étaient bien conscients de la violence que véhiculaient les jeux vidéos et les intervenants se sont mis à transpirer très fort. Heureusement, aucun d’entre eux n’était coupable du meurtre de figures pixelisées.