Cette conférence intitulée Les Enfants de Chronos avait pour sujet le traitement des légendes dans la littérature et l’origine des mythes. On y recevait comme intervenants Guy Gavriel Kay, auteur de la série de romans La Tapisserie de Fionavar, Ellen Kushner, autrice des romans Riverside, Jeanne-A Debats qui a écrit les romans du Cycle de Navarre et Valérie Mangin que j’avais déjà vu durant la conférence sur le temps en BD, puisqu’elle est la scénariste d’Abymes.
Temps légendaires, temps historiques
En guise d’introduction, la question fut posée de savoir ce qu’était le mythe, aussi les intervenants en construisirent ensemble la définition. Les mythes seraient ainsi des vérités auxquelles on ne croit plus. Plus précisément, ils sont une illusion volontaire, un mensonge qui donne du sens à une vérité que l’on ne sait expliquer. Ce sens, c’est le point commun entre le mythe et l’Histoire, la part de vrai que l’on retrouve dans les légendes. Ainsi, le mythe de Prométhée nous rapporte en substance l’histoire de l’être humain qui jadis a dompté une force de la nature et s’est élevé au dessus de l’ordre naturel.
Les temps légendaires, même une fois distingués de l’Histoire, y restent donc attachés par leur sens et c’est sans doute ce qui leur permet de subsister à travers les âges et les découvertes. Ils constituent ainsi un temps intouché que l’on peut invoquer chaque fois que sa signification a besoin d’être rappelée. Mais une mythologie, si elle survit au passage du temps, peut toutefois perdre son essor et ne plus s’enrichir si sa culture fondatrice passe par une période de mutation. On peut par exemple associer le déclin du mythe grec à la montée du christianisme d’une part, mais aussi à la rationalisation qui touchaient les concepts et aspects de la vie jusque là représentés par des dieux.
Fantasy historique et Histoire romancée
Maintenant que l’on sait distinguer les temps mythiques des temps historiques, on peut en flouter les frontières avec la fantasy historique. Ici plutôt que de donner réellement corps à des mythes et des légendes, on s’attarde sur la perception de ceux pour qui ces mythes étaient des vérités. Ainsi, des phénomènes qui pourraient facilement s’expliquer à notre époque redeviennent mystérieux, anormaux, voire dangereux. Ce type de récit permet de ramener le lecteur au niveau d’un personnage qu’il pourrait autrement qualifier de superstitieux et donc de lui retirer tout sentiment de supériorité.
Malheureusement, tout comme les arts graphiques peuvent servir de propagande, les mythes peuvent être utilisés afin de romancer l’Histoire d’un peuple, le glorifier et le rassembler autour d’un symbole commun ou de légitimer ses actions. L’histoire de la fondation de Rome donnait ainsi un sentiment de suprématie et de puissance à ses habitants. La France colonialiste, mais aussi l’Allemagne nazie s’étaient elles-mêmes revendiquées un héritage mythologique afin de soutenir leurs idéologies. La Finlande, lorsqu’elle voulut réclamer l’indépendance avait appuyé cette revendication par la lecture des Eddas scandinaves.
Les mythes sont ainsi désignés comme un passé glorifié, capable de ramener une civilisation à une époque où ses rêves étaient plus grands et d’ainsi susciter la nostalgie de cette grandeur pourtant fictive. Les mythes se révélant souples dans leur narration -puisque le cœur du mythe est son sens- ils sont relativement faciles à adapter selon le conteur et l’auditoire, ce qui les rend simples à détourner à des fins particulières.
L’échelle du mythe
Mais le mythe n’existe pas qu’à l’échelle d’une civilisation ou d’une cité. Puisqu’il s’agit d’un passé romancé, à la perception altérée, alors l’enfance de chaque individu est susceptible de donner un « mythe personnel ». Les exemples qui me viennent à l’esprit seraient les explorations d’un jeune Shigeru Miyamoto qui lui inspira plus tard l’univers de Zelda, ou la collection d’insectes de Satoshi Tajiri qui l’amena au concept de Pokemon.
Les mythes se basant souvent sur la description de certains archétypes de comportement humain, il est possible d’associer ces comportements de personnages mythiques à des personnages plus modestes et de transposer ainsi le mythe d’une cité à l’échelle d’une famille par exemple. On obtient ainsi une connaissance plus familière, une lecture sans doute plus intuitive des relations qui peuvent animer les différents personnages, puisque les liens entre ceux-ci sont les mêmes que ceux de personnages qui ont traversé les âges.
Petit guide à l’attention des auteurs de mythes
Pour terminer, les intervenants nous prévinrent aussi de deux erreurs à ne pas commettre lorsqu’il s’agit d’écrire un mythe. La première serait de ne pas y croire soi-même, du moins de ne pas croire en ce à quoi le mythe donne sens. J’imagine qu’une légende que l’on écrit sans conviction, sans s’être laissé touché par l’idée qu’elle amène est à l’image d’une blague sans chute. L’autre erreur serait de trop chercher à rationaliser la magie. En effet, comment pourrait-on laisser l’auditeur réfléchir à la signification profonde de la légende, s’il doit appréhender les mécaniques logiques de sa magie ? Cette dernière est donc mieux utilisée comme moyen de porter le sens, pas comme un élément devant obligatoirement faire sens lui-même.
D’ailleurs, puisque l’on parle de rationnel, il semble qu’il faille admettre que parfois, les comportements humains ne le sont pas. Ainsi, le méchant qui devient méchant à cause d’une enfance difficile est un personnage de moins en moins crédible. C’est d’ailleurs visible à notre époque, puisque les mécréants d’aujourd’hui n’étaient pas forcément les enfants les plus malheureux d’hier.